Alors que l’on peut, à juste titre, se poser la question de la pertinence de réaliser aujourd’hui des tirages photographiques par les procédés argentiques, divers médias étrangers et des acteurs de la photographie ont annoncé que la photographie analogique devenait un patrimoine culturel immatériel…
Comme souvent, l’information est incomplète et le chemin est encore long avant l’inscription par UNESCO dans la liste des patrimoines culturels immatériels de l’humanité mais c’est une étape.
En fait, suite à la demande du Conseil allemand de la photographie (Deutcher Fotorat e.V.) – association qui a été fondé en 2021 par l’Académie allemande de photographie (DFA, fondée en 1919), la Société allemande de photographie (fondée en 1951), la BFF – Association professionnelle des photographes et concepteurs de films indépendants (fondée en 1969) et FREELENS (fondée en 1995) et qui fédère aujourd’hui 39 organisations –, la Conférence des ministres de la Culture des Länder allemands et le délégué du gouvernement fédéral à la Culture et aux Médias ont annoncé le 26 mars que « la production de portraits sous forme de positifs uniques ou de négatifs destinés à être reproduits à l’aide de procédés photographiques analogiques » sera inscrite au Registre fédéral du patrimoine culturel immatériel par la Commission allemande pour l’UNESCO.
La liste allemande des patrimoines culturels immatériels compte actuellement 168 pratiques culturelles et savoirs faire, la liste française 170 – dont la fabrication du kirsch de Fougerolles, de salaisons au tuyé du Haut-Doubs ou de carcasses de sièges à Liffol-le-Grand (ces pratiques ont été choisies à dessein : Fougerolles est à 7 km de Saint-Loup-sur-Semouse, Saint-Loup comme Fougerolles sont en Franche-Comté comme les tuyés sur Haut-Doubs… et la fabrication de sièges à Liffol à une origine lupéene, nous aurons l’occasion d’y revenir) – et l’UNESCO a inscrit fin d’année dernière 66 nouvelles pratiques sur la liste des patrimoines culturels immatériels de l’humanité – dont 3 proposés par la France et 3 par l’Allemagne.
Que la photographie analogique soit ou non un patrimoine culturel immatériel de l’humanité – depuis 2003, l’UNESCO a retenu 788 pratiques culturelles et savoirs faire dans 150 pays –, son inscription sur la liste allemande a de nombreux avantages et pas uniquement outre-Rhin : les techniques mises au point et les savoirs accumulés depuis 1824 vont être documentés, conservés et leur enseignement favorisé – ça n’a l’air de rien à l’époque du numérique mais c’est une très bonne chose –, d’autres pays – dont, pourquoi pas, la France patrie de Nicéphore Niepce, Louis Daguerre, Hippolyte Bayard et de nombreux autres précurseurs – pourraient eux aussi inscrire la photographie analogique sur leur liste nationale et, on peut toujours rêver, la disponibilité des produits et équipements indispensables pourrait être facilitée…
Retenir l’expression photographie analogique est particulièrement intéressant – les procédés argentiques ne sont pas les seuls inscrits et une place est faite aux procédés alternatifs (cyanotype, tirages au charbon, gomme bichromatée… ) – mais il est dommage que la seule pratique retenue soit le portrait photographique.
Edit du 18 mai
L’inscription de la photographie à la liste française des patrimoines culturels immatériels est à l’ordre du jour de la 6e édition du Parlement de la photographie qui aura lieu les 17 et 18 juin.
Edit du 17 juin
Le sujet méritera un billet de blog : on ne pouvait pas en douter, la France, qui, en août 1839, a fait « don de la photographie au monde » ne pouvait pas en rester là. Le sujet a été abordé ce matin lors de la 6e édition du Parlement de la photographie : une inscription dans sa liste de patrimoines culturels immatériel est dans les tuyaux et devra être prête pour le mois d’octobre.
La ministre de la Culture doit présenter le 7 juillet à Arles le visuel du bicentenaire de la photographie. Il est probable qu’elle en profitera pour faire d’autres annonces.
Edit du 28 juin
Il n’y a pas que « la production de portraits sous forme de positifs uniques ou de négatifs destinés à être reproduits à l’aide de procédés photographiques analogiques » dont l’inscription au Registre fédéral du patrimoine culturel immatériel a été annoncée en mars de cette année, la techno berlinoise fait partie des pratiques culturelles que l’Allemagne souhaite mettre en valeur – la culture hip-hop à Heidelberg a été inscrite à la liste allemande des patrimoines culturels immatériels en 2023 comme le slam poétique dans la langue de Goethe l’avait été en 2016.
Le 21 juin, Emmanuel Macron a donc annoncé qu’il souhaitait que la French Touch soit, elle aussi, inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité… en faisant l’impasse sur l’essentiel : il faut, dans un premier temps, que l’inscription soit portée au niveau national – ce que l’Allemagne a fait pour la techno berlinoise –, qu’un collectif prépare l’inscription en décrivant le savoir faire, son caractère exceptionnel, sa transmission, le fait qu’il soit vivant… et en oubliant que ce n’est pas parce qu’un pays inscrit une pratique culturelle sur sa liste que l’UNESCO inscrit ce savoir faire au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Pour Tobias Rapp, éditorialiste du Spiegel repris par Courrier international ce jour, « il faut cesser ces muséifications à tour de bras et privilégier la sauvegarde des formes culturelles qui sont en voie d’extinction »