9La boulimie d’images faites au smartphone, stockées dans les nuages, retouchées à coup de filtres Instagram ou par intelligence artificielle, partagées à la va vite sur les réseaux sociaux, vire à l’indigestion : nostalgie ou désir de faire autrement, les procédés photographiques analogiques reviennent tout doucement à la mode.
Alors que l’Allemagne vient d’inscrire « la production de portraits sous forme de positifs uniques ou de négatifs destinés à être reproduits à l’aide de procédés photographiques analogiques » dans sa liste des patrimoines culturels immatériels, que le ministère de la Culture, en amont de la 6e édition du Parlement de la photographie, prévoit d’inscrire la photographe dans la sienne en prévision de la célébration, en 2026, du bicentenaire de la photographie, Arte, dans le numéro diffusé début mai du magazine culturel Twist, montre les pratiques de photographes qui ont opté pour l’analogique.
On y découvre Joséphine Vallé Franceschi qui arpente les rues de Paris munie d’un Lomo LC-Wide, Andreas Mühle que l’on voit travailler à la main à la Linhof Technika, Patrice, un musicien, qui produit son nouvel album en studio 100 % analogique et tourne son clip avec une caméra Beaulieu 16 mm et fait des photos au Pentax 67 et au Mamiya RB67, puis, enfin, Ludwig Draser et Ludwig Hagelstein qui, à Berlin, développent des films tournés sur pellicule.
Pour eux, l’argentique est in et permet d’obtenir des effets imprévisibles… en oubliant de préciser que les appareils Lomo, les Lomo LC comme les Diana, sont des appareils rudimentaires, plein de défauts, comme seule l’URSS puis la Russie savait en produire – même l’étanchéité à la lumière de ces boitiers n’était pas garantie… sans parler de la qualité des objectifs, de la précision de l’exposition et de la mise au point…
Est omis aussi le fait que la technologie argentique dont aujourd’hui on vante les aléas était, aux balbutiements de la photo électronique analogique puis numérique, une technologie adulte, fiable et dont les évolutions techniques avaient fait que la part de hasard était devenue aussi limitée que possible et relevait de l’exception.
En 1871, la mise au point du procédé au gélatino-bromure d’argent par Richard Leach Maddox a ouvert la voie à la préparation industrielle des plaques puis des films photographiques par, entre autres, Louis et Auguste Lumière et George Eastman : les photographes n’étaient désormais plus obligés de préparer, juste avant la prise de vue, leur plaque et de la développer avant que le collodion n’ait séché – en plus de leur volumineux appareil, ils devaient se déplacer avec leur chambre noire.
Dès 1890, la trop grande perfection des émulsion industrielles pose problème et, en France, en Angleterre comme en Allemagne, Constant Puyo, Robert Demachy, Peter Henry Emerson, Heinrich Kühn théorisent les idées pictorialistes. Les photographes cherchent alors à donner une vision plus subjective, refusent la réalité, tentent de transcrire les sensations, retouchent les négatifs ou les tirages, utilisent les procédés à la gomme bichromatée, au charbon, à l’huile ou expérimentent…
À coté des films « traditionnels » produits par Kodak Alaris, Harman Ilford, Fuji, Rollei, Adox, Ferrania, Foma, on trouve des films cinéma reconditionnés – les films Kodak Vision 3 sont distribués sous plusieurs marques –, des émulsions couchées sur papier washi, des films aux couleurs atypiques… bref, tout ce qu’il faut pour avoir un rendu prévisible ou totalement imprévu.
Coté tirages, les procédés alternatifs comme les cyanotypes, les alternatives à la gomme bichromatée – les bichromates sont interdits de commercialisation et d’utilisation dans l’Union européenne depuis 2017 –, le collodion humide, le procédé Van-Dyke sont eux aujourd’hui tendance comme le sont aussi les photogrammes et l’utilisation de sténopé. Il est dommage que Twist fasse l’impasse sur ce sujet… peut-être pour un prochain numéro.
Enfin, si pendant un temps Fuji était devenu le seul à produire des films instantanés, ce n’est plus le cas : la production de films Polaroïd a été relancée… avec un bémol, faute de demande, Fuji a annoncé l’arrêt de la production de tous les films pack le 29 février 2016, les derniers films en format 4″ × 5″ ayant été discontinués en 2013 et Polaroïd ne produit que des films au format SX70 et 600 – pour le format Image System, rectangulaire et plus grand, il faut attendre –. Le film instantané utilisé par Andreas Mühle, probablement du Fuji FP100C45, n’est plus fabriqué depuis 12 ans et les derniers pack se vendent à prix d’or. One Instant commercialise un film en pack au format Polaroïd 100, plus petit, « conditionné » en pack carton de 1 vue, vendu en kit… l’acte photographique commence par le montage du pack, l’assemblage film avec la gousse de révélateur, la pose du papier récepteur et l’insertion du tout dans du pack… le montage se fait en plein jour.
Et, ce qui n’est pas dit dans Twist, c’est qu’en l’état actuel de la technologie, la technique de « tirage » qui donne la meilleure conservation avec le plus grand choix de supports avec le moindre impact l’environnemental est l’impression pigmentaire jet d’encre… Numérique quand tu nous tiens…
La première guerre mondiale a eu raison du mouvement pictorialiste et, dans les années 1930, d’autres photographes défendront une approche sans manipulations… Puis les aller-retour entre les partisans d’une photographie subjective et ceux d’une photographie reproduisant le réel continueront ensuite, tantôt pour les besoins de la publicité, tantôt pour faire de l' »Art ».