S’il y a un sujet qui fâche les photographes, c’est bien le dépôt légal.
Le dépôt légal, ce n’est pas une nouveauté : il a été institué par François 1er par l’ordonnance de Montpellier du 28 décembre 1537 :
« Nous avons délibéré de faire retirer, mettre et assembler en notre librairie toutes les livres dignes d’être vues qui ont été ou qui seront faites, compilées, amplifiées, corrigées et amendées de notre tems pour avoir recours auxdits livres, si de fortune ils étaient cy après perdus de la mémoire des hommes. »
À l’origine, le dépôt légal remplissait deux rôles : celui du contrôle de la publication et de la censure et celui de la conservation.
Le dépôt légal a été progressivement étendu à tout ou presque – c’est ainsi que nous faisons le dépôt légal imprimeur pour les travaux qui en relèvent –, dont les photographies depuis 1963 – rendu obligatoire par les lois du 19 mai 1925, du 17 septembre 1941, du 21 juin 1943 confirmée en 1944…, le Cabinet des Estampes accueillant des dépôt volontaires depuis 1851.
Les 8 et 9 juin dernier se tenait le 4e Parlement de la photographie au Palais de Tokyo, les échanges étant retransmis en visioconférence. Le Ministère de la Culture a annoncé aujourd’hui la mise à disposition du replay.
Au cours de la table ronde « Quel avenir pour son fonds photographique » du 8 juin, lors du temps d’échange avec le public, Héloïse Conésa, conservatrice du patrimoine au Département des Estampes et de la Photographie qui était dans l’assemblée a fait la déclaration suivante, en réponse à un photographe helvète :
« (…) En fait, la BnF (Bibliothèque nationale de France) a ce dispositif qu’elle, que je, répète à chaque Parlement de la photo, d’année en année, qui est le dépôt légal et qui est en fait l’obligation faite à tout photographe français qui travaille sur le territoire français de déposer en un exemplaire chaque tirage qu’il rend public par le biais d’une édition ou d’une exposition. Voilà, bon.
[ léger bruit de fond dans la salle que l’on n’entend pas sur le replay ]
Je parle devant une assemblée de photographes et devant l’écosystème de la photographie, autant vous dire que c’est impossible. Que tous les photographes ne font pas leurs dépôts légal et que, voilà. Mais je tiens à préciser que Jean-Claude [Bélégou] l’a fait souvent, qu’il a donné par ailleurs et, peut-être, rappeler pour avoir aussi le…
On a eu le chant et je ferai le contre-champ…
Du don de chaque, d’un, photographe appelle aussi un contre don de l’institution puisque, et ça, c’est valable pour pour la BnF comme pour tout autre institution publique qui prend en charge un fond : il est nécessaire, enfin, on s’engage à conserver ce fond, à lui donner une pérennité, à ce qu’il soit transmis aux générations, à ce qu’ils soit diffusé, à ce qu’il soit valorisé, à ce qui soit catalogué, inventorié et tout cela un coût : un coup d’investissement du personnel personnel scientifique, des gestionnaires de collection, des magasiniers qui communiquent en salle de lecture les œuvres.
Voilà, tout ça est très important et on avait fait, il y a une étude internationale qui avait été faite il y a quelques années maintenant, mais conserver une photographie, voilà, en respectant les taux d’hygrométrie, la température, etc, ça coûte… Dans des bonnes conditions, ça coûte en moyenne trois euros à l’institution par an mais quand on multiplie pour un fond photographique tel que celui de la BnF qui compte 8 millions d’images… Voilà, je vous laisse faire le calcul. Voilà donc, et ne pas perdre de vue que nous sommes des institutions publiques et que l’institution publique c’est aussi l’argent du contribuable et que, voilà, on est dans un système aussi en France qui aide quand même beaucoup la création photographique. Je pense qu’il y a pas mal d’exemples qui l’ont montré depuis ce matin et que, de fait, pour certains photographes, on a eu l’occasion d’en discuter avec Jean-Claude mais avec d’autres parfois, ça peut être aussi une façon de se dire que l’on s’inscrit aussi dans cette dans cette idée de l’institution publique et de rendre public une œuvre qui appartient au patrimoine de tout un chacun. (…) » (transcription à partir du travail « automatique » de Youtube)
Le replay est disponible ici. Les propos qui fâchent sont à 54 minutes du début de la vidéo – il faut comprendre que la réponse s’adresse à un photographe suisse… mais, si elle a fait réagir la salle, c’est qu’elle s’adressait à tout le monde sauf à celui à qui elle était adressée.
Il y a eu beaucoup d’échanges intéressants au cours de cette édition du Parlement de la photographie. Les replays sont ici.
Edit de 19 h 50
Lors du Parlement de la Photographie des 7 et 8 juin 2022, lors d’une table ronde sur la commande publique photographique, Héloise Conésa, qui était à la tribune, avait tenu les propos qui suivent…
Le sujet du dépôt légal étant arrivé sur la table ‘hors sujet’, il a été assez difficile de les retrouver… Les questions du modérateur, Guy Tortosa, les réactions et questions d’autres personnes dans la salle sont en italique :
Il y a plusieurs voies par lesquelles la BnF enrichi ses collections en matière de photographie et d’estampes. Quelle est votre politique en matière d’acquisition et commande ? Notamment les voies économiques à travers lesquelles se réalise cet enrichissement ?
Alors peut-être rappeler qu’une des voies qui a permis à la Bibliothèque nationale de France (BnF) de s’enrichir historiquement qui est ancrée, inscrite dans les textes, depuis le milieu, le début même, du 20e siècle est le dépôt légal. Le dépôt légal, je le rappelle pour les membres de l’assistance, est une obligation faite aux photographes de donner en un exemplaire, au départ c’était deux exemplaires… une obligation légale normalement suffisamment coercitive avec une amende… voilà…
Ça date de quand ?
Ça date de… Alors au départ les photographes l’ont fait spontanément. C’est à dire qu’Eugène Atget, par exemple, a donné spontanément. L’obligation, elle, date de 1943.
Personne n’a applaudi spontanément…
Mais parce que les choses ont changé, j’en suis bien consciente, mais la loi, en plus, est en train d’évoluer pour que le dépôt légal s’applique au numérique. Voilà, on aurait beaucoup à dire, mais je pense que le dépôt légal fera peut-être l’objet d’une autre table ronde mais en tout cas si aujourd’hui…
Si je peux terminer sur cette question qui me tient quand même à cœur, parce que je suis désolé, nous sommes une collection publique, une collection publique nationale qui se doit de conserver la mémoire de ce qui est produit en France. Donc, on peut certes, et je suis d’accord avec eux aussi certaines choses, certains sous-entendu que j’entends très bien, qu’ils sont liés à l’idée que, bien évidemment, tout travail mérite salaire, j’en suis parfaitement consciente mais nous sommes une collection publique, nous conservons pour l’éternité les œuvres des photographes.
Savez-vous à combien, là je parle aussi avec l’appui de mon collègue Pascal Beausse qui dirige aussi une collection publique nationale [ la collection photographie du Centre national des Arts plastiques ], savez-vous combien coûte la conservation d’un tirage par an pour une institution ? Un tirage par an c’est à peu près entre 3 et 5 euros. Ces 3 et 5 euros, ils représentent quoi ? Ils représentent l’indexation, le conditionnement, la conservation dans des conditions qui permettent d’assurer la pérennité de l’œuvre dans des magasins réfrigéré, à des taux d’hygrométrie contrôlée. Tout ça un coût. Quand on le multiplie par les 6 millions de tirages que conserve la BnF. Je vous laisse faire le calcul, c’est colossal.
Je suis consciente des difficultés que traversent les photographes et voilà, là-dessus, je pense qu’on est tous d’accord pour dire que ce qui est fait ne console jamais de ce qu’il reste à faire mais on peut aussi se satisfaire d’un certain nombre de choses qui sont faites et engagées
Est-ce qu’on peut dire que la commande publique, c’est le programme notamment que vous portez, contribue à faire aussi évoluer les pratiques ?
Absolument mais de la même façon que, si vous voulez, le dépôt légal, les donations, qui sont les principales voies d’enrichissement à côté de l’acquisition onéreuse qui reste quand même la portion congrue de ce que l’on peut faire aujourd’hui en termes d’acquisitions à la BnF. La commande publique participe de cela. Donc, bien évidemment, on a inclus la rémunération des auteurs et on a inclus la production de ces tirages qui vont revenir à la collection dans les vingt-deux mille euros…
Et vous faites publicité aux supports de presse avec ce qui peut en découler de contraintes économique ?
Tout à fait, on on est dans cette dynamique, alors qu’il n’est pas une dynamique d’aide parce que là je te rejoins parfaitement quand je pense qu’on est tous d’accord autour de la table pour dire que la commande publique n’est pas une subvention déguisée, qu’elle n’est pas une aide, mais qu’elle est quelque chose qui permet aussi de mettre en avant des photographes dont le regard à un intérêt particulier et doit être conservée doit constituer le patrimoine photographique de demain.
Est-ce qu’il y aurait une dernière ou deux dernières questions s’il vous plaît ?
Ce sera la dernière question
Bonjour quand vous parlez de commande publique c’est des livres de photos ou CD ? Quand je parle de dépôt légal, vous voulez dire, quand je parle de dépôt légal, non ça concerne les tirages
Mais à partir de quel moment est ce qu’il y a une obligation de dépôt légal ?
À partir du moment où le tirage est rendu public, c’est à dire à partir du moment où il sort de la sphère privée pour être rendu public. Vous avez une obligation de déposer vos images à la BnF. C’est une obligation qui effectivement remonte à la question du livre, comme vous le soulignez, effectivement, le livre imprimé est le premier à initier cette question du dépôt légal mais ça existe pour la gravure et ça existe pour la photographie, ça existe pour la vidéo, etc.
Le replay est disponible ici. Les propos reproduits ci-dessus sont à 1 h 29 du début de la vidéo, après qu’Héloïse Canésa ait parlé de commande publique du Ministère de la Culture pendant 12 minutes – entre 1 h 06 et 1 h 18.