Bis repetita ?

A la fin des années 1970, une poignée de spéculateurs ont joué sur un métal précieux, moins contrôlé que l’or et dont la production était, et en encore, très inférieure aux besoins de l’industrie : l’argent.

Les frères Hunt, qui cherchaient à protéger leur patrimoine, seraient, en achetant tout l’argent métal disponible et provoquant ainsi une pénurie mondiale, à l’origine de la forte hausse du cours l’argent métal. « Il n’y avait plus d’argent [métal] » et il a fallu trouver des parades…

L’industrie photographique, au sens large, avait été particulièrement touchée : c’était à l’époque la plus grande consommatrice d’argent métal. Il ne faut pas l’oublier, une radio des poumons – pratique courante à l’époque –, c’est l’équivalent de six 36 poses, un film cinéma de 90 minutes, c’est 2,5 km de pellicule – et il faut une copie par salle et par film – et un imprimé A4 en quadrichromie offset, c’est, à minima, entre ¼ et ½ m² de film. La pénurie organisée pour faire grimper les cours avait fait, qu’en moins de temps qu’il en faut au marché pour s’adapter, le prix des pellicules avait été multiplié par plus de 4 !

C’est pour des raisons économiques que la récupération de l’argent dans les bains de fixage s’est généralisée – coté laboratoire, un fixateur usagé valait plus cher qu’un bon vin et l’argent métal récupéré revenait dans l’industrie photographique… – et, pour n’en « perdre » que le minimum – l’image des films noir et blanc est constituée d’argent à la différence de celle des films couleur dont l’argent a disparu au traitement –, Agfa et Ilford avaient annoncé, lors de la Photokina 1980, l’arrivée des premiers films chromogéniques noir et blanc.

En un temps record, l’industrie photographique avait réussi à mettre en place une filière de récupération de l’argent des bains de fixage, bien avant que les normes antipollution n’imposent le retraitement des chimies usagées.

Parce que l’affaire était juteuse et qu’ils manquaient de liquidités, les frères Hunt ont cherché d’autres investisseurs. D’1,55 $ l’once au début des années 1970, l’once d’argent se négociait à 49,95 € en janvier 1980.

La spéculation a ses limites : la Réserve fédérale américaine et le Comex se sont alliés pour freiner la spéculation… Et l’once d’argent ne valait plus qu’une  grosse dizaine de dollars fin mars 1980. Les frères Hunt étaient ruinés – et seront condamnés en 1988.

La situation internationale actuelle fait que la spéculation sur les métaux précieux – or, mais aussi argent, et, dans une moindre mesure, platine et, palladium – est forte. Le 1er décembre, les cours de l’argent métal sont, une première depuis janvier 1980, passés au dessus des 50 $ l’once – et ont atteint 66 $ l’once le 27 décembre –.

La production d’argent métal a doublé en une quarantaine d’année, mais l’argent est toujours un métal rare à l’état natif, 72 % de l’argent produit vient de mines de cuivre, de plomb, de zinc ou d’or… l’extraction reste insuffisante, les réserves sont faibles et le recyclage doit fournir l’indispensable complément à une industrie de plus en plus demandeuse.

Les évolutions techniques – 94 % des photographies sont aujourd’hui faites avec des smartphones, les salles de cinéma n’ont plus besoin d’avoir physiquement les films pour les diffuser, l’imagerie médicale n’utilise pratiquement plus de films radiographiques, et, si l’impression couleur s’est généralisée, l’impression numérique et le direct to plate ont remplacé les « intermédiaires » argentiques – ont fait que l’industrie photographique n’est aujourd’hui que le 3e consommateur d’argent derrière les besoins industriels et la bijouterie… 

La génération Z aurait retrouvé les charmes de la photographie argentique, les films instantané sont in – Fuji a annoncé le 18 décembre des investissements pour produire encore plus d’Instax –… Reste à voir quel sera l’impact des cours actuels de l’argent métal sur le prix des films et leur répercussion sur la santé des fabricants.